Mercredi 14 septembre, le gestionnaire du Réseau de Transport d’Électricité (RTE) présentait son rapport 'Perspective pour le système électrique pour l’automne et l’hiver 2022-2023' et annonçait, entres autres, que malgré un risque de tension accru sur le réseau électrique il n'y aurait pas de coupure de courant en France cet hiver.
Depuis quelques semaines, la presse relaie le même message : la France fera face à un risque de blackout durant l’hiver prochain due à la crise énergétique qui secoue l’Europe. RTE a modélisé trois scénarios, basés sur des hypothèses météorologiques, de demande d’électricité et d’offre nucléaire. Dès les premières minutes de la conférence de presse, le message est clair : oui, l'offre d’énergie pourrait être inférieure à la demande cet hiver mais uniquement si les hypothèses les plus pessimistes se réalisent simultanément. Dans le pire des scénarios, cela correspondrait au maximum à 5% de la période hivernale. Si tel s’avère être le cas, la France dispose de différents leviers qui permettraient d’éviter le délestage, c’est-à-dire la suspension temporaire et ciblée de l’offre d’électricité dans certaines zones géographiques. Un message rassurant pour tous les acteurs mais qui encourage tout de même à l’adoption d’écogestes, guidés par le dispositif Ecowatt.
Situation énergétique en France : un contexte inédit pour l'hiver 2022-2023
Depuis quelques mois maintenant, nous parlons de la crise énergétique en France, résultat de la réalisation simultanée de plusieurs événements qui ont fortement détérioré la production d'électricité.
Cette crise peut tout d’abord être expliquée par le déséquilibre sur le marché du gaz, une tension présente à la fois sur la demande et sur l’offre. D’un côté, la reprise économique qui a suivi la crise sanitaire en 2021 a engendré une augmentation de la demande, de l’autre la crise ukrainienne a eu pour conséquence une forte diminution de l’approvisionnement en gaz russe. Le gaz naturel produit 20% de l’électricité en Europe, c’est pourquoi les tensions sur le marché du gaz se répercutent sur le celui de l’électricité.
Cette situation sur le marché du gaz aurait pu impacter la France de manière limitée, étant donné que plus de 70% de l’électricité est d‘origine nucléaire et que la France est habituellement exportatrice d’électricité. C’était sans compter sur les problèmes de corrosion découverts par EDF sur les réacteurs les plus récents. Ces problèmes ont entraîné une mise à l’arrêt pour cause de maintenance de plusieurs réacteurs. La production nucléaire française devrait atteindre son niveau le plus bas depuis les années 1990.
Enfin, la France connait une période de forte sécheresse, la plupart des départements étaient encore en vigilance rouge le 19 septembre 2022. Cette sécheresse impacte à la fois la production nucléaire, car les centrales prélèvent de l’eau des rivières pour refroidir les réacteurs, mais surtout la production hydroélectrique qui était en baisse de 40% en août 2022 par rapport au niveau de 2021.
La baisse de la production d’électricité en France oblige la France à importer davantage d’énergie ce qui augmente sa dépendance aux énergies fossiles. Si bien que la période de vigilance annuelle qui débutait en décembre les années précédentes commencera vraisemblablement en octobre cette année.
Prévisions pour l'hiver 2022-2023 : des situations extrêmes peu probables
Comme chaque année, RTE a consulté les pouvoirs publics pour recueillir les informations les plus à jour sur les capacités de production et établir ses prévisions pour l’hiver prochain.
Dans son rapport, perspectives du système électrique pour l’hiver 2022-2023 RTE fait l’hypothèse que la consommation évoluera dans le prolongement de la tendance actuelle et construit trois scénarios en faisant varier le niveau de l’approvisionnement :
- Le scénario intermédiaire : le parc nucléaire retrouvera progressivement une disponibilité de 45 GW d’ici janvier 2023 ;
- Le scénario dégradé : les échanges de gaz sur le territoire européen seront ralentis en raison de la pénurie de gaz ;
- Le scénario haut : les efforts réalisés sur la maintenance des réacteurs nucléaire permettra d’atteindre une puissance disponible de 50 GW en janvier 2023.
La production d’électricité en France est thermosensible, le Gestionnaire du réseau électrique (RTE) estime que pour chaque degré en dessous des normales de saison, la consommation d’électricité augmente de 2,4 GWh. RTE applique ces trois scénarios à différents contextes météorologiques pour identifier les situations où la demande d’électricité sera supérieure à l’offre. Les simulations montrent que, dans la pire des situations qui correspond à un hiver très froid et au scénario d’approvisionnement dégradé, seulement 30 situations extrêmes sont identifiées, soit environ 5% de la période hivernale.
Ce risque ne concerne que certaines plages horaires : entre 8 et 13 heures et entre 18 et 20h, là où la consommation de chauffage et d’éclairage est la plus élevée. Afin d’éviter d’arriver à ces extrêmes, le gouvernement a déployé un plan de sobriété énergétique qui a pour objectif de réduire de 10% la consommation d’énergie en France. Jeudi 22 septembre sera lancé un grand plan de communication pour présenter Ecowatt, un dispositif développé par RTE et l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maitrise de l’énergie) qui incitera les citoyens à appliquer des éco-gestes en cas de fortes tensions sur le réseau électrique.
Le dispositif Ecowatt, fer de lance du plan sobriété du gouvernement
Considéré comme la « météo de l’électricité », le site internet et application Ecowatt permet aux citoyens, collectivités et entreprises de suivre les périodes de tension sur le marché français de l’électricité. Le dispositif existe depuis une dizaine d’années en Bretagne et en Provence-Alpes-Côte d’Azur et a été déployé à l’échelle nationale en 2020.
Chaque jour, Ecowatt estime le niveau de consommation de l’électricité des Français, la capacité de production et l’importation possible. Il indique un signal qui peut être de trois couleurs :
- « vert » lorsque la consommation électrique est raisonnable ;
- « orange » lorsque les réserves d’électricité sont faibles ;
- « rouge » lorsqu’il y a un risque élevé que l’offre ne couvre pas la demande d’électricité.
Dans ce dernier cas, des coupures de courant sont à prévoir pour une durée minimale de 2h et une alerte sms « vigilance coupure » est envoyée aux citoyens pour les inciter à réduire leur consommation à travers des écogestes simples : diminuer d’un degré le chauffage à la maison ou dans les bureaux, éviter d’utiliser les appareils de cuisson, réduire l’éclairage public, éteindre les enseignes lumineuses non indispensables...
Le signal « orange » a été émis par RTE le 4 avril dernier, invitant ainsi les particuliers, les collectivités et entreprises à se mobiliser. Cette mobilisation a permis d’économiser 800 MW.
Il est prévu par les pouvoirs publics que le même dispositif soit mis en place pour le gaz.
Depuis la rédaction de cet article, le gouvernement a présenté dans son ensemble le plan de sobriété énergétique pour faire face à la crise de l'énergie actuelle. Le plan vise notamment à réduire à 10% la consommation d'énergie en france sur les deux prochaines années. Le plan de sobriété énergétique concerne plusieurs secteurs comme : l'état, les collectivités territoriales, les entreprises, les établissements recevant du public, les industries, les transports, les logements (et donc les particuliers) ou encore la culture et les sports.
Que retenir de ce rapport de RTE sur les perspectives du système électrique pour l'hiver 2022-2023 ?
Trois éléments peuvent conduire à une situation critique sur le réseau électrique : deux d’entre eux dépendent plus ou moins de nous, à savoir notre volonté à réduire notre consommation et la capacité d’EDF à tenir les délais de remise en fonctionnement des réacteurs éteints. En revanche, nous n’avons pas la main sur les conditions météorologiques qui conditionnent notre consommation. Au regard des hivers précédents, il est cependant peu probable que nous connaissions cet année un hiver très froid.
Le message sous-jacent de ce rapport se veut donc rassurant : même si l’Europe traverse une crise énergétique inédite et que la production électrique française est au plus bas depuis les années 90, la France n'aura sûrement pas recours à des mesures exceptionnelles de délestage pour réduire la consommation énergétique. De plus, l’étude n’a pas pris en compte les récentes annonces sur la solidarité énergétique entre l’Allemagne et la France, ni la promesse d’EDF de redémarrer les 26 réacteurs nucléaires, aujourd'hui à l’arrêt, au cours de l’hiver. Deux annonces à vocation à rassurer les acteurs économiques dont les anticipations ont fait grimper les prix sur les marchés à terme.